jeudi 18 décembre 2014

Les jumeaux soldats - Nouvelle par Carl et Paul

LES JUMEAUX SOLDATS




C’était le 21 novembre 2014, à Rome, dans mon appartement en face du Colisée. Nous regardions les informations à la télévision. Des images de la guerre en Syrie entre le régime de Bachar Al-Assad et les rebelles étaient diffusées. On voyait un avion qui lâchait une bombe sur un immeuble. Abdel qui était à côté de moi sur le canapé en toile bleu marine se mit à trembler et à pleurer. Je lui demandai :
« Qu'est-ce que t'as ?
- Ces images me font penser à un terrible souvenir, me répondit-il. 
- C'est quoi ? 
- Tu veux vraiment que je te raconte ? 
- Oui, si tu veux. 
- Tu es le premier à qui je vais le raconter. » 

J'étais vraiment touché. Puis, il continua :
« Il y a 3 ans, nous habitions à Hraytan, au nord d'Alep en Syrie. Nous étions une famille chrétienne, issue d'un milieu plutôt aisé. J'avais 14 ans comme mon frère jumeau Ibrahim. Nous étions très complices, on faisait presque tout ensemble. On était des passionnés de basket-ball. Notre chambre était recouverte de posters de basketteurs américains. J'étais grand, donc ailier, et lui plus petit, donc meneur. Yanis, mon autre frère, devait avoir 12 ans, mais contrairement à moi, il adorait le football. C'était un fan de Ronaldhino, un joueur brésilien. Tara, ma sœur, avait 8 ans. Comme toutes les filles, elle aimait mieux jouer aux poupées plutôt que faire du sport. Ma mère était médecin et mon père avocat. Ils revenaient tard le soir du travail alors avec Ibrahim, on s'occupait de Yanis et Tara.
Un jour comme tous les autres, nous rentrions du collège et allions chercher Tara à l'école primaire. Une camionnette nous suivit depuis le collège. Yanis regardait derrière nous tout le temps puis il me dit :
« Regarde derrière nous, il y a une camionnette qui nous suit.
- Tournons à droite pour voir si elle nous suit vraiment, ajoutai-je»

Nous tournâmes donc à droite. La camionnette tourna elle aussi à droite. Nous partîmes donc en courant. Il y avait une rue piétonne à 25 mètres devant nous. La camionnette accéléra, nous doubla et se mit devant la rue piétonne. Ibrahim annonça :
« Courons dans l'autre sens ! »
Le véhicule se remit en route puis s'arrêta devant nous. Quatre hommes cagoulés et habillés en noir sortirent et nous plaquèrent contre le mur d'une maison. Un autre homme sortit avec une arme à la main. Il était habillé comme les autres. Ce devait être le chef car il leur ordonna :
« Ligotez leurs mains, bons à rien »
J'avais très peur, je criais en bégayant :
« Dé-dé débattez-vous ! »
Nous nous débattions donc mais les hommes réussirent quand même à nous ligoter les mains. Puis ils nous amenèrent dans la camionnette et nous attachèrent à une barre de fer vissée à l'intérieur. Un homme s'installa à côté de nous et nous partîmes donc. Je lui demandai :
« Où allons-nous ?
- Tais-toi, tu verras quand on arrivera, me répondit-il sèchement. »
Il enleva sa cagoule. Il était blond et avait les yeux verts. Nous roulâmes pendant trois jours sans nous arrêter. Lorsque nous nous arrêtâmes, des hommes vinrent nous chercher de la camionnette. Nous descendîmes puis la camionnette partit aussitôt. Les hommes nous emmenèrent dans un immeuble délabré. Je dis à un homme :
« Où sommes-nous ? Pourquoi on est là ? »
Il me regarda de travers et ne me répondit pas. Nous entrâmes dans le bâtiment et arrivâmes dans une chambre. Il y avait deux garçons qui devaient avoir notre âge. Par terre, il y avait trois matelas tout troués. Les hommes fermèrent la porte à clé. Je demandai à un des garçons :
« Qu'est ce qu'on fait là ?
- Ils vont tous nous emmener à la guerre 
- Comment vous appelez-vous, ajoutai-je.
- Lui c'est Bilal et moi je suis Elyas. Et vous ?
- Lui c'est Yanis, lui Ibrahim et moi je m'appelle Abdel. »
Juste après, un homme ouvrit la porte et cria :
« Venez ! »
Nous le suivîmes donc. Il avait une arme. Nous allâmes dans la cour de l'immeuble. Il y avait plein de garçons qui étaient assis par terre. Un homme habillé en noir se mit au milieu et nous expliqua que le lendemain, nous allions tous aller à la guerre et nous battre contre le régime de Bachar Al-Assad. Nous rentrâmes dans la chambre et nous couchâmes car nous étions fatigués. Le lendemain, nous fûmes réveillés par des coups de fusils. L'homme qui était venu nous chercher la veille nous apporta des uniformes et nous dit qu'il fallait qu'on les mette très vite car nous allions partir. Nous les mîmes donc rapidement et descendîmes dans la cour où se trouvaient des hommes armés. Quand nous arrivâmes dans la cour, des personnes nous donnèrent de grandes armes et nous montèrent dans un camion. On était au moins 15 garçons entassés dans le camion. Nous roulâmes pendant 2 heures. Lorsque nous arrivâmes, un homme nous conduisit en haut d'une colline. Nous nous cachâmes tous derrière des débris d'immeubles. Il nous expliqua que l'ennemi gouvernait la ville. Il nous dit aussi que si nous partions, il nous tuerait. Quelques secondes après, un avion nous survola. L'homme nous dit de nous cacher car on pouvait nous tirer dessus. Ibrahim, Bilal, Elyas et moi partîmes en courant et nous nous cachâmes sous un tas de débris. L'avion lâcha une bombe. Yanis et les autres garçons se mirent à courir. La bombe tomba et explosa. Ca fit un gros « Boum ». Juste après, nous allâmes voir si Yanis allait bien. Quand nous arrivâmes vers Yanis, nous le vîmes couché par terre. Je lui demandai s’il allait bien. Il ne me répondit pas. Mon cœur battait très fort car je pensais au pire. Ibrahim lui prit son pouls. Il se mit à pleurer. Je lui demandai :
« Est-ce qu'il va bien ?
- Non, il est mort, me répondit-il. »
Nous restâmes deux ou trois minutes avant de réaliser qu'il était mort. Tous les autres étaient aussi tués. Nous n'étions plus que quatre. Nous partîmes en courant dans un champ de maïs juste en dessous de la colline, de l'autre côté de la ville. Nous fîmes attention à ce que personne ne nous repère. Quand nous arrivâmes près du champ, on entendit des coups de feu. Nous nous mîmes par terre. Bilal partit en courant car il eut peur mais un soldat le vit et lui tira dans la tête. Bilal mourut sur le coup. Nous commençâmes à ramper discrètement jusqu'à que nous arrivâmes dans le champ. Nous marchâmes ensuite pendant 2 ou 3 heures. Puis soudain, nous entendîmes des voitures. Nous courûmes vers le bruit que nous entendions. Celui-ci nous guida vers une grande route. Nous fîmes du stop. Un camion s'arrêta et le chauffeur nous demanda :
« Où voulez-vous allez ?
- A Alep, répondis-je. 
- Moi aussi, montez, je vous emmène »
Nous roulâmes pendant 3 jours. Lorsque nous arrivâmes à Alep, nous marchâmes jusqu'à Hraytan. Quand nous arrivâmes à notre maison, nous vîmes que les volets étaient fermés, cela me parut bizarre car on était en plein milieu de l’après midi. Ibrahim alla ouvrir la porte mais elle était fermée alors il sonna, il n’y avait personne. Nous allâmes chez le voisin et je lui demandai :
« Pourquoi il n’y a personne dans la maison ?
- Tes parents sont partis mais ils m’ont donné une enveloppe à vous donner si vous reveniez. Tiens la voilà, répondit-il en me donnant l’enveloppe. »
J’ouvris l’enveloppe, il y avait plein de billets et un petit message, je le lus à haute voix :
« Voici 650 000 S£ pour fuir la guerre et prendre un avion vers l’Europe. Bisous. Papa et Maman. »
Nous demandâmes à notre voisin de nous emmener à l’aéroport. Celui-ci accepta. Quand nous arrivâmes, il y avait un vol pour Rome dans 2 heures. Nous prîmes ce vol et voilà pourquoi Ibrahim, Elyas et moi habitons à Rome. »
Abdel me demanda :
« Tu comprends pourquoi je pleurais devant ces images ?
- Maintenant oui »

Paul Simon et Carl Boillot, 2014

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