C'était une pluvieuse journée du mois d'avril, le vendredi 17. J'arrivai chez Mme Boidet, ma psychologue. Je la saluai :
« -
Bonjour Mme Boidet.
- Bonjour Ismaël, entre»
Je m'installai comme à mon
habitude, sur le grand divan de velours brun. Mme Boidet prit son
carnet vert sapin et commença : « Parlons un peu de toi,
c'est pour cela que nous sommes là, après tout. »
Mon cœur se serra, je n'avais
plus que cette date maudite en tête : « le vendredi 17 avril
2010... »
Les larmes me montèrent aux
yeux, je tremblai, me sentant vide, mon corps me lâchait
progressivement, la peur m'envahit, j'entamai mon récit :
« L'année de mes 9 ans, ma
famille et moi fuyions la guerre qui faisait rage au Mali. Pour cela
nous devions payer des
passeurs. Comme nous
n'avions pas les moyens, nous dûmes vendre notre maison ainsi que
tous nos biens. Et un matin, ce fut le grand jour, le jour de notre
départ. Nous traversâmes le Mali et l'Algérie en camion, nous
étions des dizaines de familles assoiffées et affamées. Après
plusieurs semaines passées dans ce vieux véhicule insalubre, nous
arrivâmes enfin à ce que nos parents nous décrivaient comme le port
d'Arzew. Il faisait noir, le port était désert. Ma
petite soeur avait peur.
Je la rassurai :
"- Ne
t'inquiète pas Aoua, tout va bien se passer.
- Tu en es sûr
Ismaël?
- Oui, je te le
promets."
Nos
parents essayaient tant bien que mal de dissimuler leur angoisse. Une
heure passa, les bébés pleuraient, la tension monta. Tout à coup
deux hommes armés arrivèrent avec quelques provisions, de l'eau en
très petite quantité et du pain rassis. On n'eut pas le temps de
manger. Les deux individus nous firent monter à bord d'un bateau
nettement trop petit pour autant d'hommes. Il était bleu et avait de
larges bandes jaunes orangées. La rouille y était omniprésente.
On entra dans la cale du bateau, je tournai la tête et découvris
avec stupeur de petits animaux à longue queue, maman me dit qu'il
s'agissait de rats. Aoua hurla à leur vue. Un passeur descendit et
lui cria de se taire immédiatement. Elle s'exécuta et des larmes
ruisselaient le long de son doux visage. Mes parents la prirent dans
leurs bras pour la consoler. Elle sécha ses larmes et câlina sa
petite poupée de paille qu'elle nommait Coumba.
Cinq jours et six
nuits passèrent, plusieurs personnes décédèrent. Chaque jour des
cadavres étaient jetés à la mer. Un soir, le moteur de
l'embarcation tomba en panne. Ce fut le déclencheur d'une crise de
panique générale. Des hommes sautèrent à l'eau, laissant leur
famille à bord. On dériva plusieurs heures. Une tempête éclata
et le navire heurta une falaise. J'attrapai ma sœur par le bras, le
navire coula. Nos parents furent emportés par le courant. Ce que je
ressentis alors était indescriptible.
Une planche de bois provenant du bateau passa devant nous, je l'agrippai de toutes mes
forces, toujours avec Aoua dans les bras. L'eau était glacée, il y
avait beaucoup de vent, il faisait froid. Ma sœur avait les lèvres
toutes bleues, elle tremblait. Elle ferma les yeux. Je la suppliai de
se réveiller, mais rien n'y fit. Je me sentais lourd à mon tour,
tout était noir, je m'évanouis.
Lorsque j'ouvris les yeux,
je fus aveuglé par de vives lumières blanches. Je ne comprenais
pas. Une jeune femme à la peau claire se tenait à mes côtés, je
crus qu'il s'agissait d'un ange car c'était la première fois de ma
vie que je voyais une personne blanche. Elle m'expliqua qu'elle
s'appelait Alexandra mais que je pouvais la surnommer Alex.
Je paniquai:
"- Où est
Aoua? Où est ma sœur?
- Calme toi, elle
va bien. Elle est dans une chambre voisine.
- Comment ça?
- Tu es à
l’hôpital de la Timone, à Marseille.
- Marseille?
- Oui, en France.
- En France?!"
J'y étais arrivé,
j'étais en France. Alex m'emmena dans la chambre 307 du service de
pédiatrie. Aoua était là, endormie sur un lit. Quelques minutes
plus tard, ma sœur ouvrit les yeux. Elle regarda autour d'elle,
paniquée, et me posa très vite des tas de questions. L'assistante
sociale attendit que ma sœur se calme pour y répondre. Elle
expliqua ce qui allait nous arriver par la suite car nous étions
seuls maintenant : face au monde... Nous étions dès lors des
orphelins, des enfants sans parents. Alex nous raconta que nous
allions être placés dans un nouveau foyer, que nous serions heureux
avec une nouvelle famille, une nouvelle vie. Et qu'en attendant nous
serions avec pleins d'autres enfants, dans un grand bâtiment avec un
vaste jardin rempli de jeux.
Nous passâmes le
reste de la journée à faire des examens médicaux. Quand la journée
fut finie, Alex nous emmena dans le lieu qu'elle nous avait décrit.
Une fois arrivés, nous fûmes accueillis par une vieille dame à
l'air sympathique tenant dans ses bras un chat. Elle se prénommait
Jeannine.
J'aperçus au loin
des enfants jouer, des filles, des garçons, des grands, des petits.
Elle nous fît un rapide tour des lieux en terminant par notre
dortoir. Nous rejoignîmes les autres enfants, Aoua se fit très
vite une nouvelle amie, qui s'appelait Maryline. Quant à moi,
j'essayai de me faire des copains mais ces derniers me rejetèrent.
Alors je restai seul, dans mon coin. On nous invita bientôt à
passer à table. Au menu, saucisses agrémentées de purée et
surtout il y avait beaucoup d'eau. C'était vraiment très différent
de ce que j'avais l'habitude de manger au Mali. Après le repas, nous
allâmes nous coucher.
Plusieurs jours
passèrent, Aoua et moi commencions à prendre nos petites habitudes,
je m'étais fait des amis. Mais cette belle page de notre vie allait
bientôt être tournée...
Un matin, un jeune
homme brun, vêtu d'une chemise à carreaux foncés et d'un jean
clair arriva à l'accueil du centre d'adoption. Il se présenta au
nom de Hayden. Il raconta à Jeannine qu'il venait de se marier avec
sa merveilleuse épouse, Marie, qu'il aimait passionnément. Sa femme
ne pouvant pas avoir d'enfants, souffrait beaucoup. Ne voulant
plus la voir triste, il lui fit le cadeau d'adopter deux enfants :
une fille et un garçon.
Jeannine et lui
réglèrent les papiers. Alex s'approcha pour nous annoncer la bonne
nouvelle : nous allions être adoptés par ce jeune couple.
Aoua, toute heureuse, lui sauta au cou et lui fit plein de bisous.
La femme me demanda :
« Ça va mon petit
Ismaël ?
- Oui, oui...
- Tu en es sûr ?
- Oui !
- Tant mieux. »
L'homme s'approcha,
il avait l'air sympathique, il vint à notre rencontre : « Vous
devez être Aoua et Ismaël ? » Nous discutâmes pendant un temps
et nous acceptâmes de le suivre.
Les semaines et les
mois passèrent, notre vie était belle. Mais un jour, Marie et
Hayden eurent une grosse dispute, et cette dernière partit en
claquant la porte. Nous ne comprenions pas pourquoi. Hayden cria, hurla,
jeta toutes sortes d'objets sur le sol et sur nous. J'essayai d'en
esquiver mais ma sœur n'eut pas cette chance, il lui balança un
vase, elle se protégea la tête avec ses bras. Je l'attrapai et nous
allâmes rapidement nous cacher sous le lit. Il s’aperçut très
rapidement de notre fuite et nous chercha, mettant la maison sans
dessus-dessous. D'un geste brusque, il ouvrit la porte de notre
chambre mettant aussi dans celle-ci le bazar. Il finit par nous
trouver. Il me projeta violemment contre le radiateur avant de m'y
attacher et de me mettre plusieurs coups de poing au visage, puis au
ventre. Il s'attaqua ensuite à Aoua, il la frappa, la dénuda puis
la toucha. Je criai de toutes mes forces pour qu'il s'arrête mais à
chaque fois, il la violentait. Les larmes coulaient le long de mes
joues et en levant la tête, je vis dans l’entrebâillement de la
porte une silhouette semblable à celle d'une femme avec un téléphone
dans la main. Hayden tourna la tête dans ma direction. Son visage
s'assombrit encore plus et il retourna ma sœur, la mettant sur le
ventre et en appuyant fortement sa tête au sol. Il s'assit sur elle
et mit ses mains autour de son cou. Un cri strident retentit
derrière la porte, c'était Marie. Alors Hayden se leva très vite,
ouvrit la porte pour prendre cette dernière par les cheveux et ferma
la porte. Il chercha quelque chose du regard. Il jeta son épouse sur
une chaise et la ligota avec des foulards traînant au sol. Pendant
que Marie se débattait, ma sœur Aoua regarda le seuil de la porte,
prit ses vêtements, récupéra le téléphone et partit en courant.
Quelques minutes plus tard, le son des girofards retentit, Hayden
pâlit. Une dizaine de voitures de police étaient garées dans
l'entrée. Ils défoncèrent la porte et crièrent : « Police ! ».
Les officiers montèrent l'escalier et plaquèrent notre ravisseur au
sol. Après cela, tout s’enchaîna très vite : Hayden fut
incarcéré, Marie rencontra un homme et nous, nous fûmes
adoptés par Alex. Nous reçûmes toute l'attention, tout le bonheur
et surtout tout l'amour dont nous avions besoin.
FIN
j'aime beaucoup cette nouvelle et elle s'accorde bien avec le thème "enfances en danger"
RépondreSupprimerSuper nouvelle!!! J'espère vraiment qu'elle vat être sélectionnée pour le concours, elle le mérite.
RépondreSupprimer