A la porte du destin
(version longue)
J'étais en
plein déménagement. Je remplissais le dernier carton de livres que ma mère
rangeait dans sa chambre quand parmi tous ses vieux ouvrages poussiéreux, je
découvris un journal. Il était marron, fermé d'un ruban noir. Je le frottai
avec ma main pour enlever la poussière et pus lire: « Journal d'Emma. » Curieuse, je me laissai tomber sur
son lit et j'entamai la lecture du
journal intime de ma mère. Il était rédigé d'une très belle écriture noire. Sur
les bords du texte, il y avait de petits dessins et parfois des photos. La
première page était datée du 4 janvier 1979. Je commençai donc ma lecture.
« Cher journal, je m'appelle Emma. Aujourd'hui c'est
mon anniversaire, je viens d'avoir douze ans. Pour fêter ça on m'a offert ce
journal intime. Je suis une fille discrète avec de grands cheveux châtains
ondulés. J'ai des yeux bleus et la peau mate. Je ne suis pas très grande mais
je suis fine. Je vis depuis toujours à l'orphelinat de Misrata. A l'âge de
sept ans,Beatriz, une dame de l'orphelinat, m'a expliqué que mes parents
m'avaient eue très jeunes. Ils vivaient à Tripoli au Nord de la Libye et étaient
plutôt pauvres. Ne voulant pas avoir de grosses responsabilités, dès ma
naissance, ils m'avaient abandonnée ici. Moi, je pense surtout qu'ils ne
voulaient pas de moi. Je ne comprends pas comment on peut abandonner son enfant
aux bras d'inconnus. Je me demande parfois s'ils repensent à moi ou si,
maintenant, ils ont un autre enfant avec qui ils sont heureux. Pendant toutes
ces années j'ai vu défiler des tas d'enfants de tous âges. Ils arrivent puis
quelques mois ou quelques années plus tard, ils repartent heureux avec leur nouvelle
famille. Chaque jour, je perds un peu plus d'espoir d'avoir une
famille... »
En revenant à
moi, j'avais les larmes aux yeux. Je pensais à ma mère et à tout ce qu'elle
avait enduré. Elle ne me parlait jamais de son enfance mais quand je lui
demandais elle me répondait : « J'ai eu une belle enfance,
simple... » Je voulais en savoir plus et lus donc la deuxième page. Elle
était illustrée d'une photo d'Emma en noir et blanc. Elle était souriante,
assise sur son lit, dans sa chambre. Cela me donna du courage pour reprendre ma
lecture.
« 10 Février 1979
Cher journal, hier j'ai reçu une nouvelle inattendue.Beatriz est arrivée en courant dans ma chambre en claquant au passage la vieille
porte en bois. Elle avait un grand sourire. Je sursautai, surprise de la voir
sitôt puis elle m'attrapa les deux mains et m'attira vers elle. Elle me serra
dans ses bras et quand enfin elle s'écarta de moi, je lui demandai ce qu'il se passait. Elle me répondit euphorique :
« Ce matin, j'ai entendu Mme Lo, la directrice, parler de toi au
téléphone. Donc, quand elle a eu terminé je suis allée lui demander si il y
avait du nouveau. C'est là qu'elle m'a annoncé qu'un couple voulait te
rencontrer. »Un sourire apparut sur mes lèvres. J'eus l'espoir d'un
nouveau départ.
11 Février 1979
Cher journal, aujourd'hui c'était le grand jour! Je voulais
être parfaite pour rencontrer mes éventuels futurs parents. Je me regardai dans la
glace. J'étais vêtue d'une jolie robe au tissus rose avec une ceinture de perles
blanches que Beatriz m'avait offerte la veille. Je portais de belles ballerines
noires. J'avais attaché mes cheveux en chignon laissant échapper quelques
mèches. Je me regardai une dernière fois puis je pris mon courage à deux mains
et sortis de ma chambre. Je descendis le grand escalier en bois et traversai le
couloir sombre. J'arrivai enfin devant la porte qui allait pouvoir m'offrir une
vie meilleure. Au moment où je posai ma main sur la poignée un malaise me prit.
Je ne savais plus quoi faire. Je me décidai quand même à ouvrir la porte. Quand
le bruit de la porte retentit, deux personnes qui m'étaient inconnues se
retournèrent. La femme était mince et avait de courts cheveux bruns. Elle avait
de beaux habits en soie. L'homme à ses côtés devait être son mari. Il mesurait
au moins deux mètres et était vêtu d'un magnifique costume. C'était le
couple parfait, riche, qu'on aurait pu voir dans un film à la télévision. La
directrice s'avança vers moi, me prit par la main, me les présenta :
- Emma, voici Emeline et Joseph Lopez.
Ils me regardèrent et me firent un sourire hésitant. La
femme s’avança de quelques pas :
- Bonjour Emma, je suis très heureuse de te rencontrer
aujourd'hui, me confia-t-elle.
Je passai toute la journée en leur compagnie. Je leur
racontai ma vie et eux la leur. Ils m’expliquèrent qu'ils vivaient à quelques
rues de l'orphelinat. Ils se mirent à raconter leur vie :
- Nous vivons dans une grande maison, commença la femme.
- Tu pourras avoir ta propre chambre, ajouta l'homme.
Je restai muette en écoutant attentivement les détails de
la vie qu'ils avaient à m'offrir. Ce soir-là, allongée dans mon lit, je
repensai à la conversation que nous avions eue : «Nous rêvions depuis quelques
temps d'avoir un autre enfant mais nous ne pouvons pas. Si tu le souhaites,
nous pourrons t'envoyer dans une bonne école, ce qui te promettra d’avoir un
bel avenir. »
24 Février 1979
Cher journal, cela fait environ deux semaines que n'ai pas
écrit. J'ai passé presque toutes mes journées avec mes futurs parents. Voici
comment s’est passé mon départ de l’orphelinat.
Mes valises étaient prêtes. Je m'installai dans la voiture
où mes parents m'attendaient. Je dis un dernier au revoir à Beatriz qui allait
beaucoup me manquer. La route défila devant moi pendant une dizaine de minutes
jusqu'à ce que j’aperçoive enfin une belle maison. Ma nouvelle maison !
Elle était entourée d'une clôture blanche. A gauche il y avait une rangée de fleurs de toutes les couleurs et à droite
une énorme piscine entourée de magnifiques palmiers. Joseph sortit mes valises
du coffre pour aller les poser à l'entrée. Je le suivis et ils me firent
visiter cette belle et grande maison. »
Je décrochai
mes yeux du livre. A ma surprise, la page suivante était datée du 15 juin 1992.
Elle avait écrit treize ans après. Ce jour était celui de ma naissance.
« Cher journal, j'ai maintenant vingt-cinq ans et
aujourd'hui je suis devenue maman. Je viens d'accoucher d'une petite fille que
j'ai nommée Jeanne. Cela fait treize ans que je n'ai pas écrit pourtant, il s'est
passé beaucoup de choses. Lorsque que j'ai été adoptée, les premières semaines
étaient pour moi le paradis. Puis, au bout d'un mois, quand mon père commença à
boire il devenait violent. Il m'insultait et me frappait. Il me traitait comme
sa servante et un jour, quand je ne voulus plus écouter, il m'enferma dans la
cave pendant quelques jours. Quand j'essayais de me sauver, il me frappait
jusqu'à ce que je saigne. La femme ne disait rien. Elle me regardait comme si
j'étais une bête de foire. Quelques années plus tard, à l'âge de mes dix-sept,
ne voulant plus être traitée comme telle j'organisai un plan. Pendant la nuit
du deux mars 1984, je sautai par la fenêtre restée entrouverte en prenant mes
économies et un petit sac de nourriture. Je courus jusqu'au port et montai
clandestinement dans un bateau de marchandises. Après de longues heures,
l'embarcation arriva à Malte. Je descendis discrètement et allai me cacher dans
un coin de rue. Le jour suivant, je trouvai un petit travail de femme de
ménage, qui me permit de survivre et de louer une petite chambre. Je restai
dans cette situation pendant quelques années jusqu'au jour où je rencontrai Mat
qui devint, quelques temps après, mon mari. Par chance, la vie m'offrit une
petite fille, Jeanne. Ma vie n'a pas toujours été belle, mais il faut
s'accrocher, il y a toujours un espoir. » Emue je fermai le livre.
Je vous remercie Camille et Laura de m'avoir fait passer un bon moment lors de la lecture de votre nouvelle qui est très émouvante !
RépondreSupprimerElise
Votre nouvelle est GENIALE elle est passionante du début à la fin j'espère qu'elle sera choisie pour le concours. Leena et Tania
RépondreSupprimerj'aime beaucaup
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