LES JUMEAUX SOLDATS
C’était
le 21 novembre 2014, à Rome, dans mon appartement en face du
Colisée. Nous regardions les informations à la télévision. Des
images de la guerre en Syrie entre le régime de Bachar Al-Assad et
les rebelles étaient diffusées. On voyait un avion qui lâchait une
bombe sur un immeuble. Abdel qui était à côté de moi sur le
canapé en toile bleu marine se mit à trembler et à pleurer. Je lui
demandai :
« Qu'est-ce que t'as ?
- Ces images me font penser à un
terrible souvenir, me répondit-il. - C'est quoi ?
- Tu veux vraiment que je te raconte ?
- Oui, si tu veux.
- Tu es le premier à qui je vais le raconter. »
J'étais vraiment touché. Puis, il continua :
« Il y a 3 ans, nous habitions
à Hraytan, au nord d'Alep en Syrie. Nous étions une famille
chrétienne, issue d'un milieu plutôt aisé. J'avais 14 ans comme
mon frère jumeau Ibrahim. Nous étions très complices, on faisait
presque tout ensemble. On était des passionnés de basket-ball.
Notre chambre était recouverte de posters de basketteurs américains.
J'étais grand, donc ailier, et lui plus petit, donc meneur. Yanis,
mon autre frère, devait avoir 12 ans, mais contrairement à moi, il
adorait le football. C'était un fan de Ronaldhino, un joueur
brésilien. Tara, ma sœur, avait 8 ans. Comme toutes les filles,
elle aimait mieux jouer aux poupées plutôt que faire du sport. Ma
mère était médecin et mon père avocat. Ils revenaient tard le
soir du travail alors avec Ibrahim, on s'occupait de Yanis et Tara.
Un jour comme tous les autres, nous
rentrions du collège et allions chercher Tara à l'école primaire.
Une camionnette nous suivit depuis le collège. Yanis regardait
derrière nous tout le temps puis il me dit :
« Regarde derrière nous, il y
a une camionnette qui nous suit.
- Tournons à droite pour voir si
elle nous suit vraiment, ajoutai-je»
Nous tournâmes donc à droite. La
camionnette tourna elle aussi à droite. Nous partîmes donc en
courant. Il y avait une rue piétonne à 25 mètres devant nous. La
camionnette accéléra, nous doubla et se mit devant la rue piétonne.
Ibrahim annonça :
« Courons dans l'autre
sens ! »
Le véhicule se remit en route puis
s'arrêta devant nous. Quatre hommes cagoulés et habillés en noir
sortirent et nous plaquèrent contre le mur d'une maison. Un autre
homme sortit avec une arme à la main. Il était habillé comme les
autres. Ce devait être le chef car il leur ordonna :
« Ligotez leurs mains, bons à
rien »
J'avais très peur, je criais en
bégayant :
« Dé-dé débattez-vous ! »
Nous nous débattions donc mais les
hommes réussirent quand même à nous ligoter les mains. Puis ils
nous amenèrent dans la camionnette et nous attachèrent à une barre
de fer vissée à l'intérieur. Un homme s'installa à côté de nous
et nous partîmes donc. Je lui
demandai :
« Où allons-nous ?
- Tais-toi, tu verras quand on
arrivera, me répondit-il sèchement. »
Il enleva sa cagoule. Il était
blond et avait les yeux verts. Nous roulâmes pendant trois jours
sans nous arrêter. Lorsque nous nous arrêtâmes, des hommes vinrent
nous chercher de la camionnette. Nous descendîmes puis la
camionnette partit aussitôt. Les hommes nous emmenèrent dans un
immeuble délabré. Je dis à un homme :
« Où sommes-nous ?
Pourquoi on est là ? »
Il me regarda de travers et ne me
répondit pas. Nous entrâmes dans le bâtiment et arrivâmes dans
une chambre. Il y avait deux garçons qui devaient avoir notre âge.
Par terre, il y avait trois matelas tout troués. Les hommes
fermèrent la porte à clé. Je demandai à un des garçons :
« Qu'est ce qu'on fait là ?
- Ils vont tous nous emmener à la
guerre
- Comment vous appelez-vous,
ajoutai-je.
- Lui c'est Bilal et moi je suis
Elyas. Et vous ?
- Lui c'est Yanis, lui Ibrahim et moi
je m'appelle Abdel. »
Juste après, un homme ouvrit la
porte et cria :
« Venez ! »
Nous le suivîmes donc. Il avait une
arme. Nous allâmes dans la cour de l'immeuble. Il y avait plein de
garçons qui étaient assis par terre. Un homme habillé en noir se
mit au milieu et nous expliqua que le lendemain, nous allions tous
aller à la guerre et nous battre contre le régime de Bachar
Al-Assad. Nous rentrâmes dans la chambre et nous couchâmes car nous
étions fatigués. Le lendemain, nous fûmes réveillés par des
coups de fusils. L'homme qui était venu nous chercher la veille nous
apporta des uniformes et nous dit qu'il fallait qu'on les mette très
vite car nous allions partir. Nous les mîmes donc rapidement et
descendîmes dans la cour où se trouvaient des hommes armés. Quand
nous arrivâmes dans la cour, des personnes nous donnèrent de
grandes armes et nous montèrent dans un camion. On était au moins
15 garçons entassés dans le camion. Nous roulâmes pendant 2
heures. Lorsque nous arrivâmes, un homme nous conduisit en haut
d'une colline. Nous nous cachâmes tous derrière des débris
d'immeubles. Il nous expliqua que l'ennemi gouvernait la ville. Il
nous dit aussi que si nous partions, il nous tuerait. Quelques
secondes après, un avion nous survola. L'homme nous dit de nous
cacher car on pouvait nous tirer dessus. Ibrahim, Bilal, Elyas et moi
partîmes en courant et nous nous cachâmes sous un tas de débris.
L'avion lâcha une bombe. Yanis et les autres garçons se mirent à
courir. La bombe tomba et explosa. Ca fit un gros « Boum ».
Juste après, nous allâmes voir si Yanis allait bien. Quand nous
arrivâmes vers Yanis, nous le vîmes couché par terre. Je lui
demandai s’il allait bien. Il ne me répondit pas. Mon cœur
battait très fort car je pensais au pire. Ibrahim lui prit son
pouls. Il se mit à pleurer. Je lui demandai :
« Est-ce qu'il va bien ?
- Non, il est mort, me répondit-il. »
Nous restâmes deux ou trois minutes
avant de réaliser qu'il était mort. Tous les autres étaient aussi
tués. Nous n'étions plus que quatre. Nous partîmes en courant dans
un champ de maïs juste en dessous de la colline, de l'autre côté
de la ville. Nous fîmes attention à ce que personne ne nous repère.
Quand nous arrivâmes près du champ, on entendit des coups de feu.
Nous nous mîmes par terre. Bilal partit en courant car il eut peur
mais un soldat le vit et lui tira dans la tête. Bilal mourut sur le
coup. Nous commençâmes à ramper discrètement jusqu'à que nous
arrivâmes dans le champ. Nous marchâmes ensuite pendant 2 ou 3
heures. Puis soudain, nous entendîmes des voitures. Nous courûmes
vers le bruit que nous entendions. Celui-ci nous guida vers une
grande route. Nous fîmes du stop. Un camion s'arrêta et le
chauffeur nous demanda :
« Où voulez-vous allez ?
- A Alep, répondis-je. - Moi aussi, montez, je vous emmène »
Nous roulâmes pendant 3 jours.
Lorsque nous arrivâmes à Alep, nous marchâmes jusqu'à Hraytan.
Quand nous arrivâmes à notre maison, nous vîmes que les volets
étaient fermés, cela me parut bizarre car on était en plein milieu
de l’après midi. Ibrahim alla ouvrir la porte mais elle était
fermée alors il sonna, il n’y avait personne. Nous allâmes chez
le voisin et je lui demandai :
« Pourquoi il n’y a personne
dans la maison ?
- Tes parents sont partis mais ils
m’ont donné une enveloppe à vous donner si vous reveniez. Tiens
la voilà, répondit-il en me donnant l’enveloppe. »
J’ouvris l’enveloppe, il y avait
plein de billets et un petit message, je le lus à haute voix :
« Voici 650 000 S£ pour
fuir la guerre et prendre un avion vers l’Europe. Bisous. Papa et
Maman. »
Nous demandâmes à notre voisin de
nous emmener à l’aéroport. Celui-ci accepta. Quand nous
arrivâmes, il y avait un vol pour Rome dans 2 heures. Nous prîmes
ce vol et voilà pourquoi Ibrahim, Elyas et moi habitons à Rome. »
Abdel me demanda :
« Tu comprends pourquoi je
pleurais devant ces images ?
- Maintenant oui »
Paul Simon et Carl Boillot,
2014
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